Le Manifeste de la Caravelle (1960)

Le «Manifeste de la Caravelle» a été rédigé et signé par 18 personnalités politiques, fonctionnaires et intellectuels vietnamiens. Il a été rendu public lors d'une conférence de presse en avril 1960 à l'hôtel Caravelle, d'où son nom. Le document contenait de vives critiques Ngo Dinh Diemrégime de Vietnam du Sudl'accusant, entre autres, de truquer des élections, de réprimer la liberté d'expression et de se livrer à la corruption et au népotisme:

«Au président de la République du Vietnam…

Nous, soussignés, représentant un groupe d'éminents citoyens et personnalités, intellectuels de toutes tendances et hommes de bonne volonté, reconnaissons face à la gravité de la situation politique actuelle que nous ne pouvons plus rester indifférents aux réalités de la vie dans notre pays. C'est pourquoi nous vous adressons officiellement aujourd'hui un appel, dans le but de vous exposer toute la vérité dans l'espoir que le gouvernement lui accordera toute l'attention nécessaire pour modifier d'urgence ses politiques, afin de remédier à la situation actuelle et les gens hors de danger…

En dépit du fait que le régime bâtard créé et protégé par le colonialisme [français] a été renversé et que de nombreuses organisations féodales de factions et de partis qui oppriment la population ont été détruites, le peuple ne connaît pas une vie meilleure ni plus de liberté sous le régime républicain que vous avez créé. Une constitution n'a été établie que dans la forme. Il existe une Assemblée nationale dont les délibérations s'inscrivent toujours dans le droit fil du gouvernement. Les élections antidémocratiques [utilisent] des méthodes et des «comédies» copiées sur les régimes communistes dictatoriaux, qui ne peuvent évidemment pas servir de termes de comparaison avec le Nord Viet Nam.

Des arrestations continuelles remplissent les prisons et les prisons jusqu'aux chevrons, comme à ce moment précis; l'opinion publique et la presse sont réduites au silence. Il en va de même pour la volonté populaire telle qu'elle est traduite dans certaines élections ouvertes, dans lesquelles elle est insultée et piétinée (comme ce fut le cas, par exemple, lors des récentes élections à la deuxième législature). Tout cela a provoqué le découragement et le ressentiment du peuple.

Les partis politiques et les sectes religieuses ont été éliminés. Les «groupes» ou «mouvements» les ont remplacés. Mais cette substitution n'a provoqué que de nouvelles oppressions contre la population sans la protéger…

Aujourd'hui, les gens veulent la liberté. Vous devez, Monsieur le Président, libéraliser le régime, promouvoir la démocratie, garantir un minimum de droits civils, reconnaître l’opposition pour permettre aux citoyens de s’exprimer sans crainte, supprimant ainsi les griefs et les ressentiments, opposition à laquelle constitue désormais pour le peuple sa seule raison pour l'existence. Lorsque cela se produit, le peuple du Sud-Vietnam, en comparant sa position à celle du Nord, appréciera la valeur de la vraie liberté et de la démocratie authentique. Ce n'est qu'à ce moment-là que le peuple fera tous les efforts et sacrifices nécessaires pour défendre cette liberté et cette démocratie ...

Le pouvoir effectif, qui n'est plus entre les mains de ceux qui sont habituellement responsables, se concentre en fait entre les mains d'un membre irresponsable de la «famille», dont émane tous les ordres. Cela ralentit la machine administrative, paralyse toute initiative, décourage la bonne volonté. En même temps, il ne se passe pas un mois sans que la presse regorge d'histoires de greffes impossibles à cacher; cela devient un défilé sans fin de transactions illégales impliquant des millions de piastres…

Les personnes compétentes devraient être remises aux bons emplois; la discipline doit être rétablie de haut en bas de la hiérarchie; l'autorité doit aller de pair avec la responsabilité; l’efficacité, l’initiative, l’honnêteté et l’économie devraient être les critères de promotion. Les qualifications professionnelles doivent être respectées. Le favoritisme fondé sur les liens familiaux ou partisans devrait être banni. La vente d'influence, la corruption et l'abus de pouvoir doivent être punis.

Ainsi, tout peut encore être sauvé, la dignité humaine peut être rétablie; la foi en un gouvernement honnête et juste peut être rétablie ...

Monsieur le Président, c'est peut-être la première fois que vous entendez des critiques aussi sévères et désagréables, si contraires à vos propres désirs. Néanmoins, monsieur, ces mots sont strictement la vérité, une vérité qui est amère et dure… que vous n'avez jamais pu connaître… [Cette vérité] balaiera l'ignominie et toutes les injustices qui l'entourent et l'oppriment…

Jusqu'à présent, nous avons gardé le silence et avons préféré laisser l'exécutif agir comme il l'entendait. Mais maintenant, le temps presse; nous sentons que c'est notre devoir… Nous implorons le gouvernement de modifier d'urgence sa politique afin de remédier à la situation, de défendre le régime républicain et de sauvegarder l'existence de la nation. Nous espérons fermement que le peuple vietnamien connaîtra un avenir brillant dans lequel il jouira de la paix et de la prospérité dans la liberté et le progrès.

[Signé par les dix-huit]