Le général Haig sur la guerre et les pertes britanniques (1919)

Écrivant l'une de ses dernières dépêches en mars 1919, le général sir Douglas Haig donne son point de vue sur la durée de la guerre et le nombre de victimes britanniques:

En premier lieu, nous n’étions pas préparés à la guerre, ou en tout cas à une guerre d’une telle ampleur. Nous manquions d'hommes entraînés et de matériel militaire et, ce qui était plus important, nous n'avions aucune machine prête à permettre de produire soit des hommes, soit du matériel en quantité approchant les quantités requises. Les conséquences furent doubles. Premièrement, les mécanismes nécessaires ont dû être improvisés à la hâte, et l'improvisation n'est jamais économique et rarement satisfaisante. Dans ce cas précis, le point culminant de notre force de combat en infanterie n'a été atteint qu'après deux ans et demi de conflit, période au cours de laquelle de lourdes pertes avaient déjà été subies. En conséquence, la pleine main-d’œuvre de l’Empire n’a jamais été développée sur le terrain à aucune période de la guerre.

En ce qui concerne le matériel, ce n'est qu'au milieu de l'été 1916 que la situation de l'artillerie devint à peu près suffisante pour la conduite d'opérations majeures. Tout au long de la bataille de la Somme, les dépenses en munitions d'artillerie durent être surveillées avec le plus grand soin. Durant les batailles de 1917, les munitions étaient abondantes, mais la situation des armes à feu était une source d'anxiété constante. Ce n'est qu'en 1918 qu'il fut possible de mener des opérations d'artillerie indépendamment de toute considération limitative autre que celle du transport.

La deuxième conséquence de notre manque de préparation a été que nos armées n'ont pas été en mesure d'intervenir, ni au début de la guerre, ni jusqu'à ce que près de deux ans se soient écoulés, avec une force suffisante pour aider adéquatement nos Alliés. L'ennemi a pu gagner un avantage initial notable en s'établissant en Belgique et dans le nord de la France, et pendant les premières étapes de la guerre était libre de concentrer une proportion indue de ses effectifs contre la France et la Russie. Le fardeau excessif jeté sur la vaillante armée de France pendant cette période leur a causé des pertes dont l'effet s'est fait sentir tout au long de la guerre ...

Une autre cause qui a influencé négativement la durée de la guerre sur le front occidental au cours de ses phases ultérieures, et qui découlait indirectement de celle qui vient d'être évoquée, était la situation sur d'autres théâtres. La force militaire de la Russie s’est effondrée en 1917, à une période critique où, si elle avait pu mener à bien ses engagements militaires, la guerre aurait pu être écourtée d’un an. Plus tard, la situation militaire en Italie à l'automne 1917 nécessita le transfert de cinq divisions britanniques de France en Italie à un moment où leur présence en France aurait pu avoir des effets considérables.

Troisièmement, les Alliés étaient handicapés dans leur tâche et la guerre était rallongée par les difficultés inhérentes toujours associées à l'action combinée d'armées de nationalités différentes, présentant des discours et des tempéraments différents et, surtout, d'organisation, d'équipement et d'approvisionnement militaires.

Enfin, comme indiqué dans le premier paragraphe de cette partie de ma Dépêche, le grand nombre d'hommes engagés de part et d'autre, ce qui a permis d'établir rapidement un front de bataille continu depuis la Suisse jusqu'à la mer, de rendre les débordements impossibles et les manœuvres très difficiles, a nécessité le livraison d'attaques frontales. Ce facteur. combiné à la force de la défense dans les conditions modernes, rendait inévitable une bataille prolongée et épuisante avant que la puissance de résistance de l’ennemi puisse être vaincue…

Évidemment, plus la guerre est longue, plus le nombre de victimes des deux côtés est susceptible d'être élevé… Toutefois, étant donné la situation militaire qui prévalait en août 1914, nos pertes totales dans la guerre n'ont pas été plus importantes que celles qui auraient été être attendu. Ils ne se comparent pas non plus défavorablement à ceux des autres nations belligérantes, dans la mesure où l'on dispose de chiffres permettant de faire une comparaison… L'ampleur de nos pertes, comme la durée de la guerre, dépendait de certains facteurs précis qui peuvent être » a déclaré brièvement.

En premier lieu, la situation militaire nous a obligés, surtout pendant la première partie de la guerre, à faire de grands efforts avant d'avoir développé toutes nos forces sur le terrain ou d'avoir convenablement équipé et entraîné nos armées. Ces efforts étaient un gaspillage d'hommes, mais dans les circonstances, ils ne pouvaient être évités. La seule alternative était de ne rien faire et de voir nos alliés français dépassés par la supériorité numérique de l'ennemi.

Durant la seconde moitié de la guerre, et la partie qui englobe la période critique et coûteuse de la bataille épuisante, les pertes précédemment subies par nos Alliés imposèrent aux armées britanniques en France une part croissante du fardeau de l'attaque. Depuis le début de la bataille de la Somme en 1916 jusqu'à la fin des hostilités, les armées britanniques furent soumises à une tension de la plus haute sévérité qui ne cessa jamais et, par conséquent, n'eurent que peu ou pas de possibilité de se reposer et de s'entraîner dont elles avaient tant besoin.

Outre ces considérations particulières, certains facteurs généraux propres à la guerre moderne ont contribué à l’inflation des pertes. La grande force des défenses de terrain modernes et la puissance et la précision des armes modernes, la multiplication des mitrailleuses, des mortiers de tranchée et de l'artillerie de toutes natures, l'emploi du gaz et le développement rapide de l'avion en tant que formidable agent de destruction contre les hommes et le matériel, tous combinés pour augmenter le prix à payer pour la victoire.

Ne serait-ce que pour ces raisons, aucune comparaison ne peut être faite utilement entre les pertes relatives subies dans cette guerre et toute guerre antérieure. Cependant, il est également admis que les enjeux de cette lutte formidable étaient bien plus importants que ceux de toute autre guerre de l’histoire récente. Notre existence en tant qu'empire et la civilisation elle-même, ainsi que l'entendent les nations occidentales libres, étaient en jeu. Les hommes se sont battus comme ils ne l’avaient jamais fait auparavant.