Le discours de la doctrine Truman au Congrès (1947)

En mars, 1947, président des États-Unis Harry Truman s'est adressé à une session conjointe du Congrès sur des questions de politique étrangère. Ce discours a formé la base de ce qui est devenu connu sous le nom de Doctrine Truman:

«Monsieur le Président, Monsieur le Président, membres du Congrès des États-Unis. La gravité de la situation à laquelle le monde est confronté aujourd'hui nécessite ma comparution devant une session conjointe du Congrès. La politique étrangère et la sécurité nationale de ce pays sont en jeu.

Un aspect de la situation actuelle, que je souhaite vous présenter à ce stade pour votre examen et votre décision, concerne la Grèce et la Turquie. Les États-Unis ont reçu du gouvernement grec un appel urgent à une assistance financière et économique. Les rapports préliminaires de la mission économique américaine actuellement en Grèce et les rapports de l'ambassadeur américain en Grèce corroborent la déclaration du gouvernement grec selon laquelle l'aide est impérative si la Grèce veut survivre en tant que nation libre.

Je ne crois pas que le peuple américain et le Congrès souhaitent faire la sourde oreille à l'appel du gouvernement grec. La Grèce n'est pas un pays riche. Le manque de ressources naturelles suffisantes a toujours contraint le peuple grec à travailler dur pour joindre les deux bouts. Depuis 1940, ce pays industrieux et épris de paix a subi une invasion, quatre années d'occupation cruelle par l'ennemi et d'âpres conflits internes.

Lorsque les forces de libération sont entrées en Grèce, elles ont découvert que les Allemands en retraite avaient détruit pratiquement tous les chemins de fer, routes, installations portuaires, communications et marine marchande. Plus d'un millier de villages ont été incendiés. Quatre-vingt-cinq pour cent des enfants étaient atteints de tuberculose. Le bétail, la volaille et les animaux de trait avaient presque disparu. L’inflation avait détruit pratiquement toutes les économies.

À la suite de ces conditions tragiques, une minorité militante, exploitant le besoin humain et la misère, a pu créer un chaos politique qui, jusqu'à présent, a rendu impossible la reprise économique. La Grèce est aujourd'hui sans fonds pour financer l'importation de ces biens essentiels à la simple subsistance. Dans ces circonstances, le peuple grec ne peut pas progresser dans la résolution de ses problèmes de reconstruction.

La Grèce a désespérément besoin d’une assistance financière et économique lui permettant de reprendre ses achats de nourriture, de vêtements, de carburant et de semences. Celles-ci sont indispensables à la subsistance de son peuple et ne peuvent être obtenues que de l'étranger. La Grèce doit pouvoir compter sur une aide pour importer les biens nécessaires au rétablissement de l'ordre et de la sécurité intérieurs, indispensables au redressement économique et politique.

Le Gouvernement grec a également demandé l’aide d’administrateurs, d’économistes et de techniciens américains expérimentés pour s’assurer que l’aide financière et autre accordée à la Grèce sera utilisée efficacement pour créer une économie stable et autonome et pour améliorer son administration publique. L'existence même de l'État grec est aujourd'hui menacée par les activités terroristes de plusieurs milliers d'hommes armés, menés par des communistes, qui défient l'autorité du gouvernement en plusieurs points, notamment le long des frontières nord ...

En attendant, le gouvernement grec est incapable de faire face à la situation. L'armée grecque est petite et mal équipée. Elle a besoin de fournitures et d’équipements pour restaurer l’autorité du gouvernement sur l’ensemble du territoire grec. La Grèce doit bénéficier d’une assistance pour devenir une démocratie autonome et respectueuse de soi.

Les États-Unis doivent fournir cette assistance. Nous avons déjà étendu à la Grèce certains types de secours et d’aide économique, mais ceux-ci sont insuffisants. Il n'y a pas d'autre pays vers lequel la Grèce démocratique puisse se tourner. Aucune autre nation ne veut et ne peut apporter le soutien nécessaire à un gouvernement grec démocratique.

Le gouvernement britannique, qui aide la Grèce, ne peut plus apporter aucune aide financière ou économique après le mois de mars 31st. La Grande-Bretagne se trouve dans la nécessité de réduire ou de liquider ses engagements dans plusieurs régions du monde, y compris la Grèce.

Le voisin de la Grèce, la Turquie, mérite également notre attention. L'avenir de la Turquie en tant qu'État indépendant et économiquement sain n'est clairement pas moins important pour les peuples épris de liberté du monde que l'avenir de la Grèce. Les circonstances dans lesquelles se trouve aujourd'hui la Turquie sont très différentes de celles de la Grèce. La Turquie a été épargnée par les catastrophes qui ont frappé la Grèce. Et pendant la guerre, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont fourni à la Turquie une aide matérielle. Néanmoins, la Turquie a maintenant besoin de notre soutien.

Depuis la guerre, la Turquie a sollicité une aide financière de la Grande-Bretagne et des États-Unis pour réaliser cette modernisation nécessaire au maintien de son intégrité nationale. Cette intégrité est essentielle au maintien de l’ordre au Moyen-Orient.

Le gouvernement britannique nous a informés qu'en raison de ses propres difficultés, il ne peut plus apporter une aide financière ou économique à la Turquie. Comme dans le cas de la Grèce, si la Turquie veut avoir l'aide dont elle a besoin, les États-Unis doivent la fournir. Nous sommes le seul pays capable de fournir cette aide…

L'un des principaux objectifs de la politique étrangère des États-Unis est la création de conditions dans lesquelles nous et les autres nations pourrons élaborer un mode de vie sans coercition… Pour assurer le développement pacifique des nations, sans coercition, les États-Unis ont joué un rôle de premier plan dans la création de l'Organisation des Nations Unies. L'Organisation des Nations Unies est conçue pour rendre possible une liberté et une indépendance durables pour tous ses membres.

Cependant, nous ne réaliserons nos objectifs que si nous ne voulons pas aider les peuples libres à maintenir leurs institutions libres et leur intégrité nationale contre les mouvements agressifs qui cherchent à leur imposer des régimes totalitaires. Ce n’est rien de plus qu’une reconnaissance franche que les régimes totalitaires imposés aux peuples libres, par une agression directe ou indirecte, sapent les fondements de la paix internationale et donc la sécurité des États-Unis…

À l'heure actuelle de l'histoire du monde, presque toutes les nations doivent choisir entre des modes de vie alternatifs. Le choix n'est trop souvent pas libre. Un mode de vie est basé sur la volonté de la majorité et se distingue par des institutions libres, un gouvernement représentatif, des élections libres, des garanties de liberté individuelle, la liberté d'expression et de religion et la liberté de l'oppression politique. Le deuxième mode de vie est basé sur la volonté d'une minorité imposée de force à la majorité. Il repose sur la terreur et l'oppression, une presse et une radio contrôlées; élections fixes et suppression des libertés individuelles.

Je crois que la politique des États-Unis doit être de soutenir les peuples libres qui résistent aux tentatives d'assujettissement des minorités armées ou des pressions extérieures.

Je crois que nous devons aider les peuples libres à établir leur propre destin à leur manière.

Je crois que notre aide devrait être principalement fournie par le biais d’une aide économique et financière essentielle à la stabilité économique et à la régularité des processus politiques.

Le monde n'est pas statique et le statu quo n'est pas sacré. Mais nous ne pouvons pas permettre que le statu quo change en violation de la Charte des Nations Unies par des méthodes telles que la coercition ou par des subterfuges tels que l’infiltration politique. En aidant les nations libres et indépendantes à maintenir leur liberté, les États-Unis donneront effet aux principes de la Charte des Nations Unies…

Ce serait une tragédie innommable que ces pays, qui ont si longtemps lutté contre des chances écrasantes, perdent cette victoire pour laquelle ils ont tant sacrifié. L’effondrement des institutions libres et la perte de leur indépendance seraient désastreux non seulement pour elles mais pour le monde. Le découragement et peut-être un échec serait rapidement le sort des peuples voisins qui s'efforcent de maintenir leur liberté et leur indépendance.

Si nous ne parvenons pas à aider la Grèce et la Turquie en cette heure fatidique, l’effet se fera sentir aussi bien à l’Occident qu’à l’Est. Nous devons prendre des mesures immédiates et résolues. Je demande donc au Congrès d’autoriser l’assistance à la Grèce et à la Turquie d’un montant de 400 millions de dollars pour la période se terminant le 30 juin 1948…

En plus des fonds, je demande au Congrès d'autoriser l'envoi de personnel civil et militaire américain en Grèce et en Turquie, à la demande de ces pays, pour aider aux tâches de reconstruction et aux fins de superviser l'utilisation de ces ressources financières. et l'assistance matérielle qui peut être fournie. Je recommande que l'autorité soit également accordée pour l'instruction et la formation de certains personnels grecs et turcs…

C'est un cours sérieux sur lequel nous nous embarquons. Je ne le recommanderais pas, sauf que l'alternative est beaucoup plus grave. Les États-Unis ont versé un milliard de dollars 341 pour gagner la Seconde Guerre mondiale. C’est un investissement dans la liberté et la paix mondiales. L'aide que je recommande à la Grèce et à la Turquie ne représente qu'un peu plus d'un dixième d'un pour cent de cet investissement. Il va de soi que nous devrions protéger cet investissement et veiller à ce que ce ne soit pas en vain.

Les germes des régimes totalitaires sont nourris par la misère et le besoin. Ils se répandent et grandissent dans le mauvais sol de la pauvreté et des conflits. Ils atteignent leur pleine croissance lorsque l’espoir d’un peuple pour une vie meilleure est mort. Nous devons garder cet espoir vivant. Les peuples libres du monde attendent de nous un appui pour maintenir leurs libertés. Si nous faiblissons dans notre leadership, nous pouvons mettre en danger la paix du monde - et nous mettrons sûrement en danger le bien-être de notre propre nation… »